15 Jan 2022

fond flouté

Des conditions de validité de la garantie d’éviction du cédant de droits sociaux : nouvelle condition de proportionnalité aux intérêts légitimes à protéger

Dans une décision du 10 novembre 2021, la chambre commerciale de la Cour de cassation a eu l’occasion d’apporter une précision inédite dans l’appréciation des conditions de validité d’une garantie d’éviction du cédant de droits sociaux.

Le contexte :

Il ressort des dispositions du Code civil applicables au droit de la vente que le cédant de titres de sociétés doit garantir l’acheteur contre toute éviction qui lui serait personnellement imputable, cela, même en l’absence de clause dans l’acte de cession.

Cela ressort notamment des articles 1626 et 1628 du Code civil :


 
  • Quoique lors de la vente il n'ait été fait aucune stipulation sur la garantie, le vendeur est obligé de droit à garantir l'acquéreur de l'éviction qu'il souffre dans la totalité ou partie de l'objet vendu, ou des charges prétendues sur cet objet, et non déclarées lors de la vente.
 
  • Quoiqu'il soit dit que le vendeur ne sera soumis à aucune garantie, il demeure cependant tenu de celle qui résulte d'un fait qui lui est personnel : toute convention contraire est nulle.
Le cadre juridique :

La Cour de cassation sur le fondement du principe de la garantie d’éviction retient classiquement que le cédant à interdiction de commettre des actes de nature à constituer des reprises  ou des tentatives de reprise du bien cédé, ou encore à empêcher le cessionnaire de poursuivre son activité économique.

Il ressort notamment de ces articles que la garantie d’éviction ne prend pas fin à l’expiration d’une clause de non-concurrence convenue entre les parties.

Le cas d’espèce :

Dans l’affaire susvisée, trois ans après avoir cédé leurs titres de sociétés, des cédants ont constitué une nouvelle structure qui opèrait dans le même domaine d’activité, ce qui leur a valu un procès de la part du cessionnaire qui leur réclamait la restitution d’une partie du prix de vente, outre des dommages et intérêts.

La cour d’appel de Paris a fait droit à la demande du cessionnaire considérant que les cédants, en se rétablissant, ont manqué à leur obligation d’éviction, leurs agissements ayant abouti à un détournement de la clientèle attachée aux produits et services vendus par la société cédée.

Au visa des principes de la liberté du commerce et de l’industrie et de la liberté d’entreprendre, et de l’article 1626 du Code civil, la Cour de cassation tempère le principe de la garantie d’éviction en y ajoutant une condition de proportionnalité.

Elle considère ainsi qu’ « il se déduit de l'application combinée de ces principes et de ce texte que si la liberté du commerce et la liberté d'entreprendre peuvent être restreintes par l'effet de la garantie d'éviction à laquelle le vendeur de droits sociaux est tenu envers l'acquéreur, c'est à la condition que l'interdiction pour le vendeur de se rétablir soit proportionnée aux intérêts légitimes à protéger ». 

C’est en vertu de ce principe que la Cour de cassation a censuré l’arrêt de la Cour d’appel de Paris, considérant que cette dernière n’avait pas recherché concrètement, si regard de l’activité et du marché concerné, l’interdiction de se rétablir se justifiait encore au moment des faits reprochés.

Cette condition de proportionnalité apparaît comme nouvelle s’agissant de la garantie d’éviction, mais existait déjà en matière d’appréciation des conditions de validité des clauses de non-concurrence.